Un condensé de l'histoire du satanisme, la sorcellerie et des sciences occultes en général. Ce texte ne se veut pas exhaustif et est sans doute bien trop imprécis, mais je n'ai ici aucune prétention d'historien. Le but est plutôt d'éclaircir le mystère qui recouvre ces termes, et les fantasmes qu'ils génèrent.
Remontons aux origines. A l'aube de l'humanité il y avait l'inconnu, l'inexplicable, la mort, les éléments. Nous avons commencé à enterrer nos morts, à comprendre que certaines choses nous échappaient. Certains ont tenté de franchir ce voile, d'ouvrir les portes de leur perception par tous les moyens pour approcher l'univers spirituel.
Il semble que l'humain soit fait ainsi, avec ce besoin de spiritualité, cette recherche constante d'explications. Aux origines il y avait donc la magie, la magie des plantes, des éléments, la mort, les souvenirs.
A mesure que les humains ont progressé en tous points du globe, la magie a occupé plus de places dans leurs sociétés. Il y avait maintenant des guérisseurs, des oracles, des sages-femmes et même des prêtres, en communication directe avec leurs divinités. La magie était alors un joyeux mélange de philosophie naturelle, de medecine, d'astrologie, d'alchimie et de superstitions. Il n'existait alors que la notion de païen, de barbare, l'étranger à la bonne religion ou à la bonne croyance mais la notion d'hérésie n'existait pas.
Puis le christianisme déferla sur la méditerrannée et avec lui la notion de théologie, de dogme, l'étude du divin qui soumet les autres sciences à sa vision.
Car celui-ci diffère du Judaïsme et plus tard de l'Islam sur cette question. Pour les juifs il est important d'être...juif, appartenir au Peuple Elu, les dérives sectaires (au sens religieux du terme) sont donc mieux acceptées.
Pour un musulman la notion d'hérésie est plus proche étymologiquement du terme "innovation", il met en garde le croyant contre toute forme d'ajout au texte sacré, de surinterprétation ou de superflu. Le Coran est ouvert à de multiples interpretations qui ne sont pas soumises à une voix unique, comme celle du Pape pour les chrétiens, la tolérance y est donc là encore plus souple.
Mais l'hérétique de l'époque n'est pas nécessairement un sorcier ou un démon, il s'agit le plus souvent d'un pratiquant des anciennes religions païennes, ou pire d'un orthodoxe ou autre "déviant" du message originel. Il y aurait eu jusqu'au XIV° siècle une certaine tolérance de l'Eglise à l'égard de la magie. Ceci s'explique peut-être par un certains respect des traditions d'origines des terres conquises, en déguisant des fêtes ou des rituels populaires en traditions chrétiennes. De plus les rebouteux, sages-femmes et autres guérisseurs font partie du paysage. Le dogme de l'époque ne croit d'ailleurs pas à la magie, dans le sens qu'aucun humain ne peut être doté de pouvoirs divins tel que commander aux éléments ou voir l'avenir.
A l'époque donc point de sorcellerie ou de satanisme, des personnes mal intentionnées bien sur, des "jeteurs de sort", et des charlatans vendant poisons et toniques naturellement. Mais il n'y a rien de théorisé, les forces du mal ne font pas l'objet d'un culte en soi. On trouve des études mélant philosophie, religion et medecine pour expliquer certaines afflictions comme la mélancolie par des "humeurs noires" ou des mauvais esprits mais il n'y a pas de consensus sur le rôle du Malin. Si certains le voient partout, d'autres ne font qu'évoquer les illusions d'esprits fragiles.
On trouve aussi d'antiques récits arabes ou hébreux mélant divinités locales et Ancien Testament sous forme de poèmes ou de prières. Certains présentent des démons, des rituels pour interagir avec eux, sous une épaisse couche de symbolisme.
Le Mal à l'époque n'a pas le même visage, le diable est même volontier une figure comique ou grotesque, la mort étant l'entrée du royaume de Dieu il n'y est pas associé. La perception de la Mort est d'ailleurs bien différentes lorsqu'on lit les textes de l'époque, les conditions de vie étant rudes, mourir est considéré comme "normal"et n'a pas l'impact qu'on lui connait.
Pour les autorités religieuses, le pire ennemi est l'hérétique, c'est à dire la brebis galeuse dans le troupeau. Celui qui déforme le message divin et l'interprete sans supervision d'un ecclesiastique. L'Eglise les traque tout autant que les Etats, ce n'est que lorsque ces mouvements prirent de l'ampleur (les Cathares pour ne citer qu'eux) que furent instaurés des instances avec beaucoup plus de pouvoir : ce furent les débuts de l'Inquisition. Si leur image dans l'imaginaire collectif est très violente, la réalité en est assez éloignée, l'Inquisition n'avait d'ailleurs aucun pouvoir sur les non-chrétiens.
Le visage de la sorcellerie va toutefois changer radicalement au cours des siècles qui suivirent. Au XIV° siècle, la Peste s'abat sur l'Europe. La mort deviens omniprésente, il faut la fuir, la redouter, on commence à lui prêter les traits d'une faucheuse. La Peste frappe d'abord les forts et les mécanismes de la maladie sont un mystère. L’incompréhension pousse à chercher des coupables à cette punition divine. Le pape Grégoire IX commence également à s'interesser à la sorcellerie, comme une pratique en marge de l'hérésie. Un de ses cardinaux les plus fanatiques (Conrad de Marbourg) théorise alors pour la première fois les nuits de sabbats des sorcières, sur la base de diverses fables et racontars des régions alpines. Car, comme elle l'a toujours fait de manière plus ou moins consciente, l'Eglise agrège de nombreuses traditions, contes et récits. Voila donc mélés sous la même bannières des mythes folkloriques aussi divers que les dames de la nuit, cannibalisme, orgies zoophiles et simples fêtes populaires dans les bois.
La chasse aux sorcières commence, les boucs émissaires présents dans toute sociétés humaines changent de visage : autrefois juifs ou lépreux, on leur préferera dorénavant les femmes âgées et isolées, veuves et/ou riches, parfois des hommes mais surtout des femmes, porte d'entrée du Mal.
A cette époque on trouve des écrits se voulant précis sur les pratiques occultes, mais il ne s'agit toujours que de théories mises au point par des théologiens ou de témoignages/accusations. On ne trouvera rien qui ne soit réellement signé de la main d'une magicienne. Une large part du clergé chrétien n'y croit d'ailleurs tout simplement pas et juge que les sabbats ne sont que des vues de l'esprit et des superstitions.
Mais qu'importe, l'occasion d'exercer son pouvoir est trop belle et aujourd'hui on commence à déméler les enjeux politiques des chasses aux sorcières, comme le renforcement des pouvoirs des évèques, couvert par d'abondantes ordonnances et bulles papales légitimant et théorisant cette répression (à l'époque, un évêque a le pouvoir de lever une armée).
A ce stade il est important de voir l'implication de l'Eglise dans l'élaboration de la figure du Mal et de ses adorateurs, entre autres facteurs politiques et économiques.
Les grands fléaux passent, la science et l'humanisme progressent et les dernières chasses aux sorcières s'éteignent aux XVII° siècle. L'heure est au progrés, l'ésotérisme passe de mode et se trouve plus proche de l'art et de la littérature que de la vie quotidienne.
C'est également à cette époque que surgit la première trace de satanisme théiste. L'affaire des poisons sous le règne de Louis XIV qui plongea la cour dans une étrange ambiance de complots et de chasse aux sorcières.
Il s'agissait d'un groupe d'aristocrates s'étant livré à divers meurtres aux mobiles variés. A ces accusations s'ajoutèrent quantités de témoignages sur des parodies de rituels chrétiens, infanticides, utilisation de foetus avortés et autres sacrifices. S'il est impossible de déméler le vrai du faux (une affaire aussi croustillante ayant générée quantité de fantasmes) il s'agit tout de même du premier cas de messe noire, au sens actuel du terme. Il ne désignait avant que les cérémonies chrétiennes non officielles, privées ou parodiques.
Toujours orienté et influencé par le christianisme, la fascination du Mal se développe dans l'art et la littérature. La mode de l'orientalisme fait également redécouvrir des cultes anciens et mysterieux comme celui de Baal. La science a fait reculer le territoire de la magie, elle est maintenant devenue un jeu d'esprit dans les salons littéraires, ou un délire maniaque chez quelques illuminés religieux et prêtres défroqués.
Le "satanisme" explosa en Europe au XVIII° siècle et particulièrement en France. Le peuple se soulève et abat le réprésentant de l'autorité divine sur Terre. La tête du Roi de France tombe et avec lui tout un système politique et social. Des rivières de sang coulent dans Paris et les grandes villes, les campagnes balayées par la Grande Peur. On instaure la Terreur tandis que l'on guillotine tout ce qu'il y avait de plus sacré, avec un anti-clericalisme inédit dans l'histoire humaine.
Aux yeux des défenseurs des Lumières, catholiques et autres francs-maçons, le violent chaos qui s'est emparé de toute l'Europe à la suite de la Révolution ne peut être exempt d'une présence satanique. Le mot est prononcé, défini, il ne s'agit pas simplement du Mal dont on parlera Baudelaire ou les cardinaux du Pape, il ne s'agit pas de Lucifer qui pêche par orgueil, mais de Satan, au sens premier d'adversaire, d'ennemi de l'humanité.
Dans les décénies suivantes, la société reste indissociable du christianisme mais le pouvoir est aux empereurs (Napoléon entre autres en Europe) qui font d'ailleurs l'objet d'un culte. L'imaginaire se déploie alors davantage et le Mal continue d'alimenter les artistes mais aussi les penseurs et philosophes. Sade parlera longuement des messes noires et il est probable que quelques cercles privés se soient livrés à des orgies occultes. Les rites de certaines sociétés secrètes commes les francs-maçons ont également suscité quantités d'accusations, mais il n'existe en réalité que peu de traces crédibles.
L'occultisme est toujours mélé à la philosophie et à la religion mais aussi aux drogues comme l'opium ou le hashich, à des moeurs sexuelles inhabituelles et à un rejet des normes sociales. Il se teinte aussi volontier de pseudo-sciences comme la tarologie, la numérologie et la para-psychologie naissante.
Cette époque constitue le ferment de la plus grande partie du folklore satanique et magique contemporain car elle voit se developper la conscience de soi, l'individu et ses ressources insoupçonnées (rappellons que les notions "d'individu" et de personnalité n'existent pas au moyen-âge).
Le XX° siècle connait les guerres mondiales, le Mal se fait industriel, mécanique. La guerre, les dictatures et les libérations, la société de consommation et le recul constant des religions. La liste des facteurs à prendre en compte serait trop longue, toujours est-il que ce siècle a vu l'emergence de quantité de mouvements spirituels, Crowley et Lavey en grands théoriciens satanistes, mais aussi les mouvements Wicca, druidiques, hippies, les phénomènes paranormaux, l'Ufologie etc... Tous se plongent dans le passé pour expliquer le présent, ils se réapproprient d'anciens symboles qu'ils interprètent en fonction des besoins de leur idéologie. Plus la preuve est ancienne plus elle est solide, et plus elle est mystérieuse, plus elle est attirante. Les motivations sont nombreuses, il peut s'agir d'une recherche spirituelle en dehors des sentiers déjà connus, des délires d'un gourou ou d'une juteuse exploitation commerciale.
L'exaltation de l'humain comme maître de son destin a changé la donne, l'humain n'est plus seulement au centre de l'univers, il en est le maître et n'a plus besoin de figure divine pour guider sa vie. La société de consommation a joué un rôle primordial dans cette libération de l'égo individuel. D'un point de vue chrétien c'est effectivement une manifestation du satanisme, car l'humain se met à la place de Dieu.
On se plait à comparer ces courants aux grandes religions monothéistes, comme s'ils avaient toujours existés dans l'ombre. Une société secrète immémorielle, qui se transmet ses rituels d'une génération à l'autre, le dogme soigneusement consigné dans un antique grimoire.
La réalité est que contrairement aux grandes religions qui n'ont que peu bougé, ces mouvements occultes, par définition, n'ont jamais eu d'existence réelle, ils n'ont parfois existé qu'en creux, à travers des témoignages. Tout le monde en parle mais personne ne l'a vu, à la manière des monstres qui hantent les forêts. Les grands traités de Démonologie comme le Lemegeton ont été écrits ou rendus publics par des "ennemis" du mal, théologien, religieux et philosophes et non pas d'hypothétiques adeptes.
Au mieux ont-ils donc trouvés une expression dans le cerveau en fusion de religieux fanatiques, d'intellectuels en mal de transgression ou de philosophes.
"Il y a toujours un moment où la curiosité devient un péché, et le diable s'est toujours mis du côté des savants."
Anatole France
Image : Doom