samedi 7 septembre 2013
Comme au premier jour
Cet escalier est froid. La pierre transpire une humidité tenace à travers les fibres de son pantalon. Il a fui les bruits et la moiteur des lieux de perditions, les échos lui parviennent de loin, chuchotements familiers et si incongrus à cet instant. Une main rassurante se pose sur son épaule, une bouche amie récite quelques paroles de réconfort et de soutien. Je suppose que de loin cette scène à tout du chagrin d'amour.
Mais non il est là, sur ces marches glaciales, à scruter le bout de ses chaussures, incrustés dans la moisissure de la pierre. Ça n'est pas de l'amour qui saigne, quelque chose lui fait mal dans sa tête. Son cœur n'est pas entaillé mais il lui semble que son cerveau a la nausée. Des mains sèches le pétrissent, le tordent, le déforment. Lorsqu'il ferme les yeux ce sont de terribles images qui tapissent l’intérieur de ses paupières.
J'ignore combien de temps s'est écoulé ensuite.
Cette pièce est bien trop éclairée. Les murs blancs l'enserrent et l'éblouissent. Une main ferme et fraîche serre la sienne, des lèvres curieuses alignent des questions. Que dire ? Comment le dire ? Il parviens à en souffler quelques mots maladroits. Un sourcil surpris se dresse tandis qu'une main empressée enfile des chapelets de mots faméliques sur un carnet.
Les questions se tarissent, ils se redressent, leurs mains se serrent à nouveau. Cette fois, elle est froide.
Le voici entre quatre murs verts et blancs. Le carrelage lui rappelle celui d'une école, le lit celui d'un médecin, le lavabo celui de toilettes de gare. La lumière projette plus d'ombres que de clarté, son ombre sur le mur est celle d'une géant squelettique.
Les jours s'empilent comme un château de cartes, son reflet vieillit plus vite que lui, le voici qui chante et qui marmonne. Il parle à des souvenirs, il chantonne de mémoire. Le présent s'estompe, recule devant ces flots réminiscents, il tend la main vers des gens depuis longtemps absents, entend des paroles déjà éteintes et accroche des yeux vides. Ses joues se creusent, des cernes coulent lentement de ses yeux comme une épaisse confiture et sa voix s'amenuise en un filet à peine audible.
Oublié par tous, il se souvient de tout. Il erre dans les couloirs décrépis. Qui sait, peut-être se voit-il arpentant la coursive d'un bateau, frôler les délicats lambris du seuil d'une chambre d’hôtel, humer cette odeur de cerise et de soleil dans la chevelure de cette fille, gouter sa peau couleur de miel et guetter l'éclat profond de ses yeux.Peut-être est il encore jeune, peut-être voit-il notre télé en noir et blanc, ses cheveux encore blonds et ce carrelage brillant de propreté. Comme au premier jour.
Le premier jour, le jour sans précédent, sans semblables, un roi qui n'aura que des fils et aucun rival. Le premier jour. Il est midi, le temps est couvert, une fenêtre est ouverte et une pluie drue tombe parfois, disputant au soleil le ciel bleu.
Il passait près d'un pont, plutôt sous un pont. L'herbe humide léchait le cuir de ses chaussures, le ciment grisâtre ruisselait encore des pluies précédentes. Quelques détritus, cannettes d'aluminium, papier d'emballages, s'entassaient au pied des larges piliers de pierre. Sur l'un d'eux figurait quelque chose. Il ne voulait pas bien voir ce que c'était, cela paraissait s'agiter, se transformer en changeant. C'était un dessin, un graffiti, un vague symbole esquissé d'un seul trait. Cela ressemblait tout à la fois à une lettre, un chiffre, un symbole, cela disait quelque chose, montrait une direction, une idée. Il ferma les yeux plusieurs fois, la forme s'imprimant en traits de feu sur sa rétine. Il la regarda une dernière fois avec méfiance, hésitant à lui tourner le dos.
Il se hâta de rentrer. Ce soir il retrouvait des visages amis dans quelques lieux de perdition. Ce soir c'était la fin de son premier jour, et il n'eut pas de successeur.
Image : Prodigy-Invaders Must Die
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