vendredi 18 juillet 2014
Tôle
Ses yeux s'ouvrent, les mouches tourbillonnent au dessus de lui. Immédiatement la faim pose sa main sur son épaule, avant même sa première inspiration. Il fait déjà une chaleur étouffante, il déplie ses membres ankylosés par une nuit de plus sur une paillasse à même le sol de terre. Ses frères et sœurs s'agitent autour de lui, certains debout depuis peu. Sa mère, silhouette voutée, est au travail depuis longtemps déjà.
Debout, il faut manger. L'enfant franchit les quelques mètres qui le séparent du tissu qui fait office de porte. Avant de la franchir il se retourne. Du regard il peut embrasser toute sa maison, tout ce que sa famille possède. Un de ses jeunes frère le bouscule en sortant, poursuivi par sa faim. Rabattant le tissu, il sort à son tour, plissant les yeux dans les rayons dorés du soleil. Le bidonville s'étend à perte de vue devant lui, le ciel se reflète dans les flaques au hasard des chemins entre les masures, jetant d'aveuglants reflets. Chaque bâtisse est unique, façonnée de débris et de matériaux récupérés. Des murs de tôles surgit parfois une touche de couleur vive, fragment d'une plaque peinte, un débris de plastique ou de bidon et le tout forme un étrange kaléidoscope de couleurs chaudes, comme d'énigmatiques indications. L'enfant s'amusait parfois à déceler cette trace de couleur dans les cabanes autour de lui, comme s'il s'agissait de l'identité de la maison, un signe unique.
La vie ici était dure, la misère recouvrait chaque chose, de même que le sable et la poussière tapissait la moindre surface. On pouvait parfois croiser des cadavres d'animaux, voire d'humains tués par la faim ou la maladie et la terre des chemins disparaissait souvent sous une épaisse couche d'ordure diverses. Un observateur extérieur se serait indigné de telles conditions de vie mais l'enfant était né ici, et ne pouvait qu'envier le mode de vie de ces gens qu'il voyait parfois sur une vieille télévision, sans vraiment le comprendre.
L'enfant ne connaissait pas la faim, simplement il était la faim, aussi loin que remonte ses souvenirs elle était toujours là, si proche de lui qu'il ne faisait plus attention à elle. Il ne pouvait imaginer une vie où l'on ne ressent la faim que quelques heures par jour.
Le bidonville fourmillait de gens qui s'affairaient, fabriquaient des objets plus ou moins utiles, cherchaient des matériaux de valeurs, du travail ou de la nourriture. Quelques panaches de fumée surgissaient régulièrement au dessus des toits de tôles.
L'enfant rêvait souvent de vivre dans une grande maison, avec un grand lit, mais il aimait cet endroit, aussi misérable soit-il. La lumière du soleil, cette myriade de couleur, ce labyrinthe de chemins, l'architecture chaotique de la moindre structure, il connaissait cet endroit, ses codes, ses chemins de traverse, ses habitants ainsi que quoi et où chercher. C'était chez lui et il su que s'il devait un jour partir sous un ciel plus clément, il quitterait celui-ci à regret.
Un jour il partirait, il aurait sa grande maison et son grand lit. Il s'arracha à sa contemplation, surveillant le sol où il posait ses pieds nus. La faim n'attendrait pas plus longtemps.
Image : Bidonville de Soweto, Afrique du Sud
dimanche 29 juin 2014
Apnée
Inspiration. S'arrêter là, seuil du poumon, trachée fermée, passage condamnée, l'air est sequestré.
Tout est fermé, le calme règne.
A ce moment là le corps semble être une cathédrale, vide, silencieuse, l'oxygène y tourne en rond, sans issue. C'est le seul moment où l'on peut sentir la pierre vivre. De légers craquements dans la charpente, un lointain écho sur le marbre, un vitrail qui vibre au passage du vent, un bourdonnement, la palpitation qui irrigue toute la structure, ce son sourd dans les oreilles, cette porte qui ne demande qu'à céder. Enfin elle s'ouvre, la rançon est trop élevée, et le vacarme emplit la cathédrale, le souffle hurle entre ses colonnes et gonfle ses contreforts. Tout le mobilier s'agite en un fracas ininterrompu, tel un moulin l'édifice accueille sans retenue tous les vents et personne ne songe d'ordinaire à leur barrer le passage.
A ce moment là je suis maitre de moi, dans un lieu connu, imperméable à l’extérieur et à ses incertitudes. Je laisse passer l'air à regret, comme un passant indiscret. Ses moment sont trop brefs, mais ils sont ailleurs parfois, dans ses bras, au pied d'un arbre, beaucoup d'autres en fait.
Mais tout cela est trop bref, pourquoi faut il que le prix à payer soit si lourd... Tout n'est pas bon à prendre, nous nous perdons sans cesse, englué dans le présent, l'oubli coule dans nos veines et fait battre nos paupières mais à quoi bon prendre du recul ? J'ai l'impression que le monde est en flamme depuis la première étincelle de l'humanité.
Image : spirit of freedom by soa paparisa
vendredi 9 mai 2014
Demain
Un horizon bleu, inamovible, inévitable, qui attire son regard jusqu'à tard le soir. Elle le scrute tous les jours. Quoi qu'elle fasse elle l'a toujours à l'esprit. Lorsqu'elle entretiens son potager, on peut la voir jeter des coups d’œils rapides par dessus son épaule vers la ligne vide. Si elle prépare un repas ses yeux vont et viennent à travers la fenêtre,et si elle va jusqu'à la ville, elle ne détache son regard attentif que contrainte et forcée par l'ombre des arbres qui finissent par l'entourer.
Lorsqu'elle ne parviens pas à s'occuper elle attend. Elle s'assoit sur une chaise, au bord de la falaise et surveille l'horizon.
Combien de jours, combien de mois se sont-ils écoulés ? Chaque seconde est un espoir qui meurt, chaque instant nourrit sa peur, chaque nuit solitaire à un gout amer de larmes. L'aurore lui parait de plus en plus terne, la pluie de plus en plus froide, et le labeur quotidien vide de sens.
Aucun son ne sort de ses mâchoires crispées et au dessus de ses joues creuses ses grand yeux anxieux, jadis si beau, ne trouvent jamais de repos. L'attente ronge petit à petit sa silhouette frêle, l'escalier de sa chambre la maltraite chaque matin, dehors le vent emporte son visage et il lui semble qu'à la moindre chute ses os se briseraient comme du verre.
L'horizon lui promet inlassablement des promesse aussi grandes que lui et l'horloge continue de lui faire crédit. Peu à peu le gardien de ses attentes occupe la majeure partie de ses journées, elle passe des heures perchée sur la falaise, bercée par la fureur des vagues en contrebas en foudroyant sa rivale du regard.
L'étendue cruelle est là, à perte de vue, multipliant les assauts sur la paroi rocheuse.
Et pourtant à la fin de la journée le soleil trouve un reflet dans ses yeux. Le soir cache l'horizon et ses promesses incessantes et dans les dernières lueurs elle murmure : "Demain, il reviens".
Mais une autre le lui a pris, jalouse et passionnée et l'a emporté lors de ce voyage qui devait être le dernier. La veuve esseulée s'érode comme la falaise où est bâtis leur maison. Elle l'attend demain.
Image : martin wittfooth
vendredi 2 mai 2014
Notre corps est aussi arbitraire que notre nom. Nous ne le choisissons pas, notre pouvoir sur lui est limité et il nous suivra plus sûrement que notre ombre.
Notre corps ce n'est pas nous, c'est une enveloppe qui change sans notre consentement, que l'on peut tout juste cadrer. On s’accommode de notre nom, on l'aime ou on le désapprouve. Comme la chair, il faut bien être "représenté", que l'on puisse nous identifier, nous voir, percevoir notre existence. Ce ne sont que des interfaces. Le nom une interface avec notre société, le corps avec notre environnement.
Une interface imposée, arbitraire, dont on ne maitrise qu'une fraction. Elles peuvent toutes deux nous trahir, en faire trop, ou pas assez, nous masquer, nous protéger, nous dissimuler, façonner des illusions, mentir au monde et à nous même. Ces interfaces ne sont même pas nécessaire à la communication ou la cohabitation, elles servent des fonctions annexes, des moyens de vivre, de survivre mais ne constituent pas une fin ni ne permettent de l'atteindre.
Nous ne sommes pas notre métier, notre statut, notre âge ni notre race ni nos vêtements.
Nous ne sommes pas notre corps.
Nous ne sommes pas notre nom.
Image : Damnengine
lundi 3 mars 2014
Un soir
Penché à la fenêtre, la tête plongée dans l'air frais de la nuit. Les bruits de la villes ne sont plus que murmures d'ici, il entend le vent caresser son visage et ses cheveux. Il sent son dos chargé de fatigue, ses jambes lourdes et ses épaules lasses. Les jours sont long et les nuits si courtes.
Ses pensées, ses doutes, ses regrets, il lui semble qu'elles usent les os de son crâne de l’intérieur. Il avait vu une fois chez un médecin, dans la salle d'attente saturée de miasmes, une de ses affiches de prévention pour divers maux tel le tabac, les maladies génétiques, les drogues...Celle ci était à propos d'un quelconque trouble mental, on y voyait une tête vaguement humaine en forme d'ampoule, dessinée d'une main d'enfant, et une silhouette à vélo rouler le long des parois du crâne. Le slogan écrit en rouge sur fond bleu en dessous était : le petit vélo dans la tête laisse-t-il des traces ? Cela lui avait glacé le sang.
Mais à cet instant le vent purifiait son esprit comme il éparpillerai de la poussière. Il se laissa tomber sur la chaise derrière lui, toujours accoudé à la fenêtre. Il tira une profonde bouffée en étirant longuement ses jambes. Il relâcha sa respiration lorsqu'il sentit son ventre se réchauffer sous l'onde de tension de ses muscles. Le point de détente dans son être lui donnait un centre où se réchauffer. Sa main droite pendait mollement dans la brise, comme elle tremperait dans l'eau depuis le rebord d'un bateau. Les volutes de fumées bleuâtres se défaisaient dans l'air, des lacets qui se délient, des rubans de gaze, des mots éphémères.
Les mots lui promettaient le repos, le bonheur, la facilité. Les sirènes d'Ulysse, qu'il ne faudrait entendre qu'une fois attaché comme il le fut, au mât de son bateau. Leurs voix suaves, cette fumée douce, gare à l'obscurité qui ne saurait guider un marin égaré. Les vents sont capricieux dans l'océan insondable qu'est la pensée. Chaque éclat nous attire et nous éloigne du précédent, nos membres se perdent, la vision se disloque, les doigts se déchainent.
Les hommes aux mains rouges, les fossoyeurs, ceux qui reniflent dans le froid, écrasent les carcasses de l'espoir vorace. La chaleur des déserts, le sable de plomb fondu, la lumière d'or en fusion, les grands palaces de chair, leurs couloirs tentaculaires remplis de fidèles aux mains brisées à force de prier. De grandes tours calcinées se dressent à perte de vue, ornées de leur couronne de vautours. Des routes de charbons courent à travers les étendues arides qu'un vent âpre brûle en permanence.
Il est temps de revenir, d'étouffer la braise. Juste lever une dernière fois les yeux vers le ciel, fermer la fenêtre et allumer la lumière.
dimanche 23 février 2014
Saison
Ci-gît dans l'âtre la morne saison.
Le bois détrempé semble une viande faisandée, elle s'amollit lentement, dans l'humidité.
Un vers, un de ces noirs compagnons circule de part et d'autre de la chair végétale, glisse dans la matière spongieuse comme un œil dans son orbite. Même le feu ne saurait animer cette carcasse, avachie sur un lit de feuilles épais comme la nuit.
Ce moignon de bois semble fondre, se dissoudre dans la fange qui le berce, agité de vivants qui mangent la mort.
Des linges flottent dans le vent inquisiteur. Leur silhouette décharnée, piteuses imitations des êtres qui les ont portés. Le temps et ses épreuves en ont distendus les fibres, le froid et la brise y glissent leurs doigts malicieux jusqu'à pouvoir passer à travers, tels les oriflammes pervertis de guerriers saints.
Ici rien ne presse, les choses changent lentement. Les années passent à leur aise, dans les terrains conquis que sont les déserts comme celui-ci. La seule vie y est rampante, aquatique, végétale. Nul oiseau ne trouble l'air, nul animal ne creuse le sol de ses empreintes. La brume et les songes veillent jalousement sur ce lieu, un sanctuaire que l'on souillerait aussi vite que le silence peut être brisé.
Un froid tenace, une lame de gel qui enserre jusqu'à la plus petite chose, un esclavagiste qui tire toute la vitalité de ses victimes, un bourreau patient. Le froid se cache derrière un arbre, dans une goutte de pluie, dans une bourrasque griffue. Il annexe tout ce que ses mâchoires atteignent, votre nez, vos oreilles. Il lèche vos doigts, engourdi vos pieds et pince votre peau de ses mains grêles. Il plonge en vous lorsque vous respirez, il sait qu'il finira par s'y faire une place. Comme un nostalgique veilleur de réverbères, il étouffe patiemment chaque petites flammes qu'il croise.
Cet endroit est immergé dans un sommeil insondable. Un sommeil que l'on prendrait pour la mort elle-même, froid, immobile, figé. Les arbres attendent le soleil, les vieux vêtements des vents plus cléments et sous la terre de jeunes pousses attendent leur heure.
Image : NightForest by Eredel
vendredi 24 janvier 2014
La fleur-II
Le puits avait perdu son centre, la fleur qui en faisait la beauté venait d'être arrachée. La main qui l'avait prise était de retour chez elle. Fébrile elle rempota maladroitement son invitée de marque dans une cruche de terre qui faisait insulte à sa beauté.
Un visage timide vint se mettre à hauteur de la fleur. Ses narines se dilataient prudemment, sans savoir ce qu'elles craignaient, les pupilles ouvertes, préparées au moindre danger. Enfin l'homme à qui appartenait la main sentit le parfum de sa captive et la tête lui tourna. Il n'avait rien senti de tel au cours de son existence, il y avait de la fraicheur du puits mais aussi le sucre du soleil et comme un goût des fruits dont sa robe avait la couleur. Il y percevait également le parfum d'une femme, comme si elle avait embrassé la fleur, y déposant un peu de sa luxueuse vapeur. Cette dernière fragrance le fit penser malgré lui à la cour de fleurs décharnées qui entouraient jadis leur bourreau et maîtresse, peut-être était-ce l'odeur du pouvoir.
Le pot fut déposé à l'abri derrière une vitre, d'où la prisonnière pouvait voir son éternel amant solaire plus longtemps qu'elle n'en avait jamais eu l'occasion. Chaque soir l'homme venait la voir, profitant de la triste lumière que laissait le soleil en la quittant. Il appréciait ces reflets sur les pétales, la corolle pourpre tournée vers l'horizon et il se plaisait a y imaginer une larme glissant sur sa peau.
Il inspirait à large bouffée le parfum de la fleur, comme s'il s'était s'agit d'eau pour un assoiffé. Il aspirait goulument, avec l'empressement que permet l'abondance. Lorsque le soleil disparaissait complétement il partait lui aussi se coucher, l'esprit troublé.
Un matin il sentit la fleur à nouveau mais la fraicheur s'était fait froid glacial, gelant son nez. Il constata que les racines débordaient de la modeste cruche, cherchant d'autres terres à cultiver. Lorsqu'il revint après être parti, il tenait un large pot dans lequel il versa de grandes pelletées d'une terre noire et grasse. Les racines gourmandes de sa protégée y trouvèrent vite leur place et la fleur grandit chaque jour davantage, couvée par l'intarissable amour du soleil.
La nuit, de terribles rêves assaillaient son geôlier, le submergeant de pétales rougeoyant, et d'atroces douleurs dans les membres, il se voyait perdu, tournoyant dans un infini mouvement de torsion, disloquant son corps dans un magma de velours.
Pendant ce temps la fleur grossissait, grossissait, ses racines était grosses comme des doigts et sa tige avait l'épaisseur d'un bras vigoureux. Sa corole orgueilleuse masquait presque entièrement la fenêtre devant laquelle elle trônait et son ravisseur admirait, dans l'ombre de la pièce tel un amant jaloux. La lumière du soleil couchant perçait à travers ses pétales un merveilleux vitrail végétal qui baignait les lieux d'une douce lueur orangée, rappelant la douceur d'un abricot et l'éclat de l'or.
A ce moment de la journée le parfum capiteux de la prisonnière imprégnait tout l'espace, l'air paraissait vibrer comme sous l'effet d'une intense chaleur et l'homme se perdait dans ces vapeurs, la vue trouble et secoué de vertiges.
Le lendemain il ne put sortir de chez lui, l'aube à travers la peau translucide de la fleur jetait un doux voile rose autour de lui. Devant ce qu'il voyait comme de la tendresse, des larmes coulèrent des yeux du ravisseur, et se trainant aux pieds de sa belle captive il contempla des heures durant la lumière varier au long de la journée, n'attendant que le crépuscule où son rival révèlerait la pleine beauté de sa protégée.
Lorsque les rayons d'adieux du soleil frappèrent la peau de sa soupirante, son parfum parut exploser dans les airs, comme si elle usait de tous ses charmes pour tenter de le retenir. Pour l'homme aux sens saturés de volupté, le temps se ralentit et l'atmosphère parut se changer en or se déversant dans son corps par ses yeux et son nez. Il sentit son dos partir en arrière et heurter le sol avant que son regard n'ai quitté la lumière; et il se vit soudain, carcasse blanchâtre à genoux devant une plante dans une vaine supplique, un mendiant devant une reine. Sa main tendue en direction de son aimée tomba lentement sur le sol puis le temps s'arrêta complètement.
Image : Old Bones by daniellieske
Inscription à :
Articles (Atom)