vendredi 24 janvier 2014

La fleur-II



Le puits avait perdu son centre, la fleur qui en faisait la beauté venait d'être arrachée. La main qui l'avait prise était de retour chez elle. Fébrile elle rempota maladroitement son invitée de marque dans une cruche de terre qui faisait insulte à sa beauté.
Un visage timide vint se mettre à hauteur de la fleur. Ses narines se dilataient prudemment, sans savoir ce qu'elles craignaient, les pupilles ouvertes, préparées au moindre danger. Enfin l'homme à qui appartenait la main sentit le parfum de sa captive et la tête lui tourna. Il n'avait rien senti de tel au cours de son existence, il y avait de la fraicheur du puits mais aussi le sucre du soleil et comme un goût des fruits dont sa robe avait la couleur. Il y percevait également le parfum d'une femme, comme si elle avait embrassé la fleur, y déposant un peu de sa luxueuse vapeur. Cette dernière fragrance le fit penser malgré lui à la cour de fleurs décharnées qui entouraient jadis leur bourreau et maîtresse, peut-être était-ce l'odeur du pouvoir.

Le pot fut déposé à l'abri derrière une vitre, d'où la prisonnière pouvait voir son éternel amant solaire plus longtemps qu'elle n'en avait jamais eu l'occasion. Chaque soir l'homme venait la voir, profitant de la triste lumière que laissait le soleil en la quittant. Il appréciait ces reflets sur les pétales, la corolle pourpre tournée vers l'horizon et il se plaisait a y imaginer une larme glissant sur sa peau.
Il inspirait à large bouffée le parfum de la fleur, comme s'il s'était s'agit d'eau pour un assoiffé. Il aspirait goulument, avec l'empressement que permet l'abondance. Lorsque le soleil disparaissait complétement il partait lui aussi se coucher, l'esprit troublé.

Un matin il sentit la fleur à nouveau mais la fraicheur s'était fait froid glacial, gelant son nez. Il constata que les racines débordaient de la modeste cruche, cherchant d'autres terres à cultiver. Lorsqu'il revint après être parti, il tenait un large pot dans lequel il versa de grandes pelletées d'une terre noire et grasse. Les racines gourmandes de sa protégée y trouvèrent vite leur place et la fleur grandit chaque jour davantage, couvée par l'intarissable amour du soleil.

La nuit, de terribles rêves assaillaient son geôlier, le submergeant de pétales rougeoyant, et d'atroces douleurs dans les membres, il se voyait perdu, tournoyant dans un infini mouvement de torsion, disloquant son corps dans un magma de velours.
Pendant ce temps la fleur grossissait, grossissait, ses racines était grosses comme des doigts et sa tige avait l'épaisseur d'un bras vigoureux. Sa corole orgueilleuse masquait presque entièrement la fenêtre devant laquelle elle trônait et son ravisseur admirait, dans l'ombre de la pièce tel un amant jaloux. La lumière du soleil couchant perçait à travers ses pétales un merveilleux vitrail végétal qui baignait les lieux d'une douce lueur orangée, rappelant la douceur d'un abricot et l'éclat de l'or.
A ce moment de la journée le parfum capiteux de la prisonnière imprégnait tout l'espace, l'air paraissait vibrer comme sous l'effet d'une intense chaleur et l'homme se perdait dans ces vapeurs, la vue trouble et secoué de vertiges.
Le lendemain il ne put sortir de chez lui, l'aube à travers la peau translucide de la fleur jetait un doux voile rose autour de lui. Devant ce qu'il voyait comme de la tendresse, des larmes coulèrent des yeux du ravisseur, et se trainant aux pieds de sa belle captive il contempla des heures durant la lumière varier au long de la journée, n'attendant que le crépuscule où son rival révèlerait la pleine beauté de sa protégée.
Lorsque les rayons d'adieux du soleil frappèrent la peau de sa soupirante, son parfum parut exploser dans les airs, comme si elle usait de tous ses charmes pour tenter de le retenir. Pour l'homme aux sens saturés de volupté, le temps se ralentit et l'atmosphère parut se changer en or se déversant dans son corps par ses yeux et son nez. Il sentit son dos partir en arrière et heurter le sol avant que son regard n'ai quitté la lumière; et il se vit soudain, carcasse blanchâtre à genoux devant une plante dans une vaine supplique, un mendiant devant une reine. Sa main tendue en direction de son aimée tomba lentement sur le sol puis le temps s'arrêta complètement.






Image : Old Bones by daniellieske

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire