dimanche 2 septembre 2018

La plus grande prison du monde




Ma mémoire est comme un grenier à la porte rouillé. Ces portes qui n'ont pas l'habitude d'être touchée, qui rechignent et se plaignent.
A l’intérieur s'accumulent mes souvenirs. On dirait des tas de bouquins. Il y en a de toutes les tailles et formes. Certains sont grands et majestueux, leurs couvertures ouvragées exhibent un titre en lettres d'or. D'autres plus modestes et nombreux se pressent les uns contre les autres comme une interminable encyclopédie. D'autres encore sont comme de gros et vieux volumes; leurs couleurs démodées et l'usure du papier témoignent d'une époque révolue. On en voit aussi pleins d'images,  ou compacts comme des pavés, tout abîmés et la couverture fendue. Ces souvenirs s'amoncellent dans l'indifférence, comme si après avoir lu ces ouvrages une fois, je les avait laissés derrière moi, puis oubliés.

Le crépuscule est pour moi comme un horizon. Constant, absolu, impénétrable. Demain est une porte close, aussi proche soit-il. Je ne parviens pas plus à m'y projeter que sur une autre planète. Je peux imaginer s'il le faut mais je sens le temps glisser sur moi comme de la pluie. Je ne comprend pas ce qu'il me dit, je ne saurait même pas répondre en sa langue.
Demain n'occupe pas plus mes pensées que ces pays que je n'ai jamais visité.

Et pourtant, comme tout horizon, il me regarde, ou me renvoi mon regard je ne sais, mais à l'instar de l'abîme il m'attire, il nous attire irrésistiblement. Je me sens aspiré vers un fond que je ne toucherai qu'une fois, le chemin déjà parcouru est aussi lointain que celui qui m'attend. Je ne pourrais jamais y retourner, et je ne suis encore jamais allé dans l'autre.

Je suis juste là, à tourner dans le vide, les échos de vos fantômes autour de moi, étincelles qui traversent le ciel pour ne jamais y revenir. Nous tournons comme des bulles, nous nous frôlons sans jamais nous mélanger, sans pouvoir fusionner. Nous sommes juste là, seuls, infinités d'univers repliés sur eux même, souhaitant être compris sans savoir écouter.

Je n'ai pas de passé, pas d'avenir, je ne vis que dans cette seconde, cette éternelle et unique seconde.





Image : Prison-Burundi by Nathalie Mohadjer