Artiste

 

     Il y a des catégories d'humains que nous aimons mettre à part, pour nous rassurer, ou nous faire rêver.
Ce tueur en série ? Ce violeur récidiviste ? Ce dictateur cruel ? Des monstres à n'en pas douter.

    Ce peintre ? Cet écrivain ? Sans aucun doute un écorché vif, une âme torturée qui erre en ce monde, éclaboussant son public de sa peine et de sa poésie.
    Ce réalisateur, ce musicien ? Des génies incompris, dépeignant la cruauté du monde avec leur sang.

    Et nous alors ? Nous, le public, le consommateur, l'esthète, l'amateur, le passionné. Sommes nous épargnés par la misère du monde ? Sommes nous aveugle à ses injustices ? Sommes nous vierge de toute cicatrice ? 

  
    L'artiste aurait-il tant souffert, tant vécu, qu'il n'aurait pas le choix que de le partager ? Sa coupe serait-elle si pleine qu'il se mue en artiste? Forcé, contraint, façonné par des traumatismes insondables ?
    Non, bien sur que non. Cela semble évident si nous y réfléchissons, si nous pensons aux gens autour de nous. L'artiste s'exprime, voila tout. Cela n'est pas aisé, il faut oser, travailler, s'exposer, dans tous les sens du terme. S'il parviens à nous toucher, lui, elle, et pas un autre, c'est car sa souffrance nous est accessible. Elle ressemble à la notre, ou à celle que l'on pourrait avoir. 

    Alors sortons de ce cliché, de ce culte de la personnalité. Cessons de présenter telle œuvre, tel parcours, comme celui d'un écorché, d'un être ténébreux et torturé, alors que chacun de nous a vécu des cauchemars à faire trembler n'importe quelle oreille attentive. 

    Si votre travail montre la douleur, elle se verra. Inutile d'affecter une posture de corbeau maudit, face à un quidam qui a peut-être connu plus de décès que vous n'avez vécu de malheurs. Comment faire le triste sire, face à une vieille dame qui a survécu à autant de maris que de cancers.
    Alors restons humble, pudique, décent, je ne sais quel mot employer, un petit peu de tout ça. Au contraire sentons nous flatté lorsque le survivant que l'on a face à nous, trouve un peu de sa souffrance dans la notre.

 

 

 

Image : mon expression