lundi 15 avril 2013

Caveau




Le cristal s'emplit du rubis, et le voila qui commence, laisse l'éther noyer sa cervelle, laisse le fiel ronger son corps, l'encre baver, la jambe vaciller tandis que le ciel se voile les yeux. De tremblements en bourrades, le voila qui chasse dans les murs, apostrophe l'air ambiant, et me fixe de ses yeux rougis où brûle un sinistre feu d'une terre lointaine.
Cliquetis d'outils dans la faïence, vagissements d'enfants malade sous la sale lampe à huile et sa fumée opaque. Rivés au séant, accoudés,  gentil bétail familial, évite sagement le regard de l'autre. Un maigre tubercule dans le bouillon clair dans l'assiette.
En voici un autre qui se lève, l'aîné que l'age rend bravache, le grand dépeigné, fugueur et aboyeur. Il se lève en vertu de son rang, le père présentement assène une sévère remontrance au tabouret qui l'a fait chuter. La vieille ne dit rien, ne dit jamais rien, aspire sa soupe d'une main tremblotante, comme si l'assiette était posée sur un fil menaçant de rompre. A nouveau elle répand la mixture sur son répugnant tablier. La mère s'en occupera, ces tâches ingrates s'accordent avec les flots de haine que ses dents contiennent derrière ses lèvres pincées.
Les deux derniers se sont réveillés. Cris et jurons, le père se relève avec fracas, l'air est empli de fumée, l'autre maladif, la mère tiens l'eau de mort, il se vautre dans son assiette, elle part prendre le lait, bavant, glapissant les sons inarticulés qu'il connait, c'est qu'elle rajoute de l'eau de mort dans le lait des enfants.
Ils dorment, et les démons délaissent le corps de mon père, avachi sur le sol.
La vieille scrute le fond de la coupelle, attendant la pluie de soupe sans doute. La cuillère me semble avoir meilleur gout que ce qu'elle contient. Le dépenaillé est parti pour de bon, il reviendra lorsqu'il aura moins de fierté que d'argent.
Voila qu'un oeil me fixe, je mange secrètement ma soupe, troublant aussi peu sa surface que l'air ambiant. L'oeil se détourne. En voici un autre, injecté, le père invertébré qui se secoue. Ses pauvres efforts se muent en spasmes, tremblements de vent, délire manuel, le voila qui danse sa gigue funèbre, le cou crispé autour de la corde qui l'attend. La marâtre s'éclipse, un vautour dédaignerait cette carcasse. La vieille se croyant seule quitte sa chaise, famélique évadée d'une prison troglodythe, qui titube face au soleil oublié. Les yeux au ciel elle enjambe les enfants endormis. La marâtre reviens, un flacon de laudanum pour le père, un regard mauvais pour l'ancêtre.
Mon assiette est vide, je suis seule à table. Je me lève poliment et adressant quelques formules et gestes de politesse que personne n'entend, je quitte le caveau familial.




Image : Summoning, Lugburz

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